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LA LIGNE DE PARTAGE

« L’homme de la maison » avait quelques attributions : affûter les couteaux, découper en tranches fines le gigot pascal, installer le lourd hachoir de fonte au temps des rillettes et autres terrines.

             A l’exception de ces quelques tâches, très précises et fort ponctuelles, sa présence n’était ni souhaitée, ni souhaitable ; bien des ménagères, en effet, estimaient leurs maris inaptes à la cuisine, capables de laisser brûler le rôti ou de ranger leurs instruments à la « va- comme-je-te-pousse ».

             La cuisine était par excellence un sanctuaire féminin où, de mère en fille, l’on suçait avec gourmandise les cuillères en bois et où l’on se chuchotait à l’oreille des recettes jalousement gardées.

             En entendant un jour ma grand-mère rabrouer son fils, - mon père ! -, parce qu’il n’avait « rien à faire là », j’ai découvert une vérité lumineuse : ce sont les femmes qui façonnent les « machos » !

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            Il semblerait qu’aujourd’hui, la fabrique-à-machos ait déposé son bilan ; que cela leur plaise ou non, les maris mettent la main à la pâte, épluchent les légumes, font sauter les crêpes, récurent les gamelles, changent les couches …Ne croyez pas que Madame aiguise pour autant les couteaux !

             Pire même : certains repassent leurs chemises, étendent le linge, recousent leurs boutons et Madame, qui ne bûcheronne toujours pas, sait demander, négligemment : « Chéri, tu ne voudrais pas couper du bois, qu’on se fasse une petite flambée ? ».

             Bref, la ligne de partage des eaux s’est déplacée !

            Faut-il pleurer, faut-il en rire ? Je ne sais, mais il m’arrive parfois d’envier ma grand-mère : elle avait su, contre vents et marées, demeurer le chef joyeux et incontesté de ses fourneaux et souvent, je l’entendais fredonner devant ses casseroles.

             Car …. Lorsque les mains vaquent, machinales, à des besognes ordinaires, l’esprit, lui, peut battre la campagne. Où pouvait-elle bien s’évader et s’échouer, lorsqu’elle chantonnait les romances de Jean Sablon ou de Luis Mariano ?

   Je ne le saurai jamais.

AUTEUR NON CONNU