HISTOIRE DE FRANCE

Si la France est la France, c'est en partie grâce à ses chansons

 Dans «Jours heureux» et «Le Temps qui passe, la France qui change», deux historiens analysent la construction de la mémoire collective et les liens entre culture populaire et création des mythes républicains et nationaux.

Une toile de 30 mètres reproduisant la Marseillaise de François Rude est déployée au stade Buffalo, à Montrouge (Hauts-de-Seine), le 14 juillet 1935, lors des Assises de la paix et de la liberté, événement fondateur du Front populaire. | Famille Lasserre via Wikimedia Commons

Deux éminents historiens proposent, dans des ouvrages parus ces derniers mois, deux lectures de la France contemporaine.

Pour ce faire, ils font reposer leur analyse sur des éléments originaux: les manifestations populaires et la musique pour l'un, la chanson et les émissions de divertissement pour l'autre.

«Jours heureux», les sons que font les manifestations

Dans Jours heureux – Quand les Français rêvaient ensemble, l'historien Jean Garrigues livre une histoire de la République à travers ses fêtes et ses grands moments de liesse collective. Empruntant son titre au programme du Conseil national de la résistance, l'ouvrage propose une réflexion métaphorique sur les grandes manifestations qui, en France, ont symbolisé une forme de concorde nationale ou, tout du moins, étaient le lieu d'une liesse populaire.

Toute l'histoire de France –y compris celle de la République– n'est pas marquée par des moments d'euphorie collective. En effet, les jours tragiques du mois de juin 1848 –quand, du 22 au 26 juin, des ouvriers parisiens se sont révoltés pour protester contre la fermeture des ateliers nationaux– ont été marqués par la mort et l'exécution de plusieurs centaines de travailleurs. De même, l'avènement de la III^e République s'est accompagné de la tragédie de la Commune.

Jean Garrigues distingue trois grandes phases: la période des révolutions, le temps de la République, qui court jusqu'à la Première Guerre mondiale, et celui des victoires, qui s'arrête au sacre de l'équipe de France de football en 1998. C'est surtout à partir de 1877 que les fêtes et les manifestations, qui peuvent être issues d'un dissensus national, deviennent a minima des formes de célébrations nationales, comme lors du Front populaire en 1935-1936 ou en mai 1968.

Inversement, l'historien pointe les grands moments d'œcuménisme à l'image de la célébration de la République en 1880 (année de la première fête nationale du 14 juillet) et plus encore lors de l'Exposition universelle de Paris en 1889 voire de la célébration de la victoire en 1918. L'euphorie gagne parfois une partie de la population et Jean Garrigues raconte avec une certaine délectation les grèves de 1936, la Libération ou encore la geste de 1968.

Il illustre son propos de nombreuses chansons qui ont accompagné ces manifestations. Ainsi, la première victoire de la République, lors de la bataille de Valmy du 20 septembre 1792, a généré une liesse patriotique accompagnée de nombreuses chansons et pièces de théâtre.

Plusieurs autres périodes sont évoquées grâce à ce recours à la chanson: la victoire de la gauche en mai 1981 avec «Regarde», de Barbara; la fête du Front populaire évoquée par le film de Jean Renoir La Vie est à nous et «Y a d'la joie», de Charles Trénet; ou encore les journées des barricades en mai 1968 placées sous les auspices de Léo Ferré. Jean Garrigues se veut optimiste, comme si toutes les tensions se terminaient par une fête, à la fois symbole de division et d'unité nationale.

«Le Temps qui passe, la France qui change», à la télé comme à la radio

L'historien Jean-François Sirinelli propose quant à lui d'évoquer le passé, depuis les années 1950, grâce à l'analyse des émissions de radio et de télévision d'une part et de la chanson d'autre part. Il s'autorise, dans son ouvrage Le Temps qui passe, la France qui change – Échos du monde d'avant, de nombreux va-et-vient entre le passé et le présent pour comprendre les temps qui changent, l'évolution du rapport à la culture et aux médias.

En effet, les médias, avec la multiplication des bouquets télévisuels puis la naissance du web, ont connu une véritable révolution. Certains objets aujourd'hui quasiment disparus, comme les transistors, ont longtemps véhiculé une parole commune, à l'image de la mythique émission «Salut les copains». De même, au temps de l'ORTF, la télévision a créé un ferment avec les images d'hommes marchant sur la Lune ou celles du dernier grand discours du général de Gaulle. Plus tardivement, les émissions de Bernard Pivot ont aussi participé de cette culture.

Des chansons ont également constitué un patrimoine commun. Certaines, comme «Alexandrie Alexandra», sont toujours chantées dans quelques karaokés, mais sont nettement moins écoutées. D'autres, comme «L'Aventurier» d'Indochine, demeurent, même si la majeure partie des auditeurs ignorent les romans du créateur du mythique héros des temps modernes qu'est Bob Morane, Henri Vernes. L'irruption d'internet a fondamentalement modifié la donne et dissous en quelque sorte la mémoire commune.

Autant d'éléments portés à la discussion sur la mémoire commune fondée sur des mythes, qu'ils soient républicains ou nationaux.