Les Tuniques Bleues et la guerre de Sécession

Les Tuniques Bleues et la guerre de Sécession au sommaire de GEO Histoire © Crédit photo : Time Life Pictures/National Archives/The Life Picture Collection via Getty Images. Dessin : Lambil, Cauvin © Dupuis, 2020. "Chaaargeez !"A l’occasion de la sortie de l’Envoyé spécial, le dernier album de la série "Les Tuniques bleues", GEO Histoire replonge dans la fureur de la guerre de Sécession (1861-1865). Alors que nous venons d'apprendre la disparition de Raoul Cauvin, géant de la BD belge et père des « Tuniques bleues », retour sur ce numéro exceptionnel.
Les grandes figures militaires, l’armement et les uniformes, les batailles emblématiques, le rôle des esclaves et celui des Indiens… En compagnie du caporal Blutch et du sergent Chesterfield, les deux héros de la bande dessinée, et à travers photographies et documents d’époque, revivez ce conflit qui déchira l’Amérique du Nord… et continue de la hanter. Un cahier BD complète l’ensemble : plongez dans les coulisses de la saga et retrouvez Willy Lambil, son dessinateur depuis 1972, qui dévoile ses superbes aquarelles. Enfin, en compagnie de BeKa et Munuera, les nouveaux auteurs, découvrez en avant-première des planches du nouvel album.
Des bleus à l'Amérique
Quelque part, chez moi, je dois encore avoir le n° 1585 du journal Spirou. Abonné à ce magazine, j’en recevais par la poste aérienne, en Polynésie française, les précieux exemplaires. Ils arrivaient de métropole pliés en deux, sous une bande-enveloppe jaune, mon nom dessus au stencil, parfois avec quelque semaines de retard. Il est vrai qu’on était en 1968… Et il y avait dans cet hebdomadaire la première histoire publiée des Tuniques Bleues, deux drôles de bonhommes en uniforme d’infanterie puis de cavalerie, qu’on aurait pris peut-être, un temps, pour le décalque imparfait d’un Tintin et d’un Haddock entrés au régiment.
Même si je dois avouer que ce western caracolant, mettant aux prises soldats yankees et Indiens de plaines, puis le fracas de cette guerre de Sécession, me parurent improbables, il y avait dans ces vignettes bondissantes quelque chose de guilleret, de désinvolte et de même léger qui ne pouvait que ravir les gosses que nous étions. Nous n’étions pas les seuls. Car, en 64 albums, le succès de ces compères, volontiers foutraques sous l’uniforme, ne devait jamais se démentir comme le racontent leurs auteurs, Raoul Cauvin et Louis Salvérius, puis Willy Lambil.
Dans une Amérique mythifiée, leurs soldats du 22e allaient, de gags en accélérations, sur des scénarios calibrés, nous en faire voir de toutes les couleurs et, au passage, distiller quelque vérités. Non, cette guerre n’avait pas été une partie de plaisir, et les Etats eux-mêmes eurent des positions contrastées. L’esclavage fut une cause cruciale de discorde… parmi d’autres. Les défections furent massives, surtout au Sud, comme nos héros de papier qui ne se montrent pas toujours à la hauteur, à commencer par le caporal Blutch, râleur, ironique, accessoirement antimilitariste. Sa devise : "J’ai toujours pensé qu’il valait parfois mieux être lâche et vivant que héros et mort."Bref, un brin déserteur.
Un conflit dévastateur Car, soyons clairs, ce conflit fraternel, qui jeta le Sud contre le Nord, fut meurtrier : il y eut 620 000 soldats tués, dont une majorité de Nordistes (360 000 hommes environ). Autant dire l’épisode le plus dévastateur qu’aura connu les Etats-Unis… Pour preuves, ces daguerréotypes en noir et blanc signés par le pionnier du reportage, Mathew Brady. De la Virginie à la Géorgie, le photographe parcourut ainsi des milliers de kilomètres pour couvrir l’enfer des batailles – comme le héros du prochain album, dont nous publions quelques extraits.
Bataillons au cordeau montant à l’assaut, paysages dévastés, labourés par les obus, amoncellement ou gros plans de cadavres défigurés aux vareuses ensanglantées… Accrochés dans une galerie, en 1862, les clichés de Brady finirent par susciter une onde de choc dans l’opinion. A croire qu’il avait déposé les jeunes morts américains à même les rues, comme s’alarma le New-York Times.
La guerre était devenue industrielle et technologique, avec ses mitrailleuses à tir rapide, ses canons de gros calibre, ses navires bardés d’acier et même ses premiers sous-marins d’attaque. Qui se souviendra, par exemple, pour cette seule journée de septembre 1862, des 23 000 victimes de la bataille d’Antetiam ? On le sait maintenant, elle préfigurait, à une échelle nouvelle, les conflits en Europe, de 1870 à 1940. De terribles épisodes qui, aujourd’hui encore, nous donnent à voir le monde autrement. En beaucoup moins bleu, à l’évidence.
Jean-Luc Coatalem, rédacteur en chef adjoint